Granito

Nettoyer mon palier semble en ce moment pour moi l'acte le plus important du monde...

Ce palier en granito ne doit pas avoir été lavé correctement depuis des lustres. Et là rien ne peut m'empêcher de le faire briller. Surtout ne pas penser plus loin que laver trois fois au produit dégraissant, puis au savon de Marseille "pour nourrir". Je ne sais pas pourquoi, mais cela me semble essentiel et salutaire.

Cela me prend des heures, avec la petite brosse, et mes genoux m'obligent à prendre des pauses. Mais j'y arrive. Et quand c'est terminé, je contemple avec fierté mon travail purificatoire, et je me reprends ma respiration. Avant cela je me promenais comme un somnambule d'ami en ami, de pièce en pièce. Après ce nettoyage je peux enfin repenser à Eric qui a hautement apprécié la qualité de mes services mais n'a pas daigné signer pour un contrat longue durée. Je ne suis pas encore capable de penser à ma perte, au décès de ma mère : il me faudrait davantage de paliers à briquer et je ne me sens pas assez altruiste pour passer aux autres étages.
J'ai envie d'être un peu égoïste en ce mois de novembre qui ne se décide pas encore pour le gel. Etre un peu égoïste et ne pas penser avant de commencer à rebâtir sur mon passé et ses disparus.

Mais qu'est-ce qu'il est beau ce granito après mon brossage intense. J'en connaitrais presque chacun de ses fragments de pierre et de marbre colorés pris dans la masse du ciment, et je suis fier du poli qui lui est revenu suite à mes efforts et à ma sueur… Ha ça, oui, Eric, je suis encore bon pour le service, de qualité et sur la durée.

Quelque semaine plus tard, un jeune collègue entre dans mon bureau pour son évaluation, et il évoque devant moi quelques éléments de sa vie (je ne sais pas pourquoi mes entretiens d'évaluation dérapent régulièrement sur le plan privé), et en vient à parler de la nécessaire détermination d'objectifs de vie. L'absolue conviction que la vie se doit d'avoir un but et des objectifs semble bien ancrée dans chaque fibre des personnes que j'apprécie en général (et là j'aimerais détaillé chaque fibre, mais c'est un autre débat). Se demander ce que l'on sera dans cinq ou dix ans et comment y parvenir tient vraisemblablement à la nature humaine qui m'entoure.

Quand je récurais mon granito, mon objectif était de "tenir" jusqu'au printemps; après cet entretien d'évaluation c'est donc "apprendre à détailler certaines fibres"… enfin je me comprends. Mais je pense à nettoyer à nouveau mon palier : quoique cela me semble moins être l'acte le plus important du monde...

Comments

[Tonton de Bxl]

Merci bien, Pierre, pour ce grand élan de générosité, mais là il s'agit d'un texte décrivant une situation passée (novembre)... donc, ça ira : là je me concentre sur mes vitres (foutu soleil)... lol

[Pierre]

Je voudrais bien t'encourager. Si tu veux, j'ai un parquet à te confier sur lequel tu pourras aussi prendre des pOses.

[Tonton de Bxl]

C'est ce que j'ai expliqué à mon petit collègue. Je lui ai fixé rendez-vous pour en discuter entre quatre yeux un de ces jours... hum... ^^

[Jérôme]

Mais dans une vie, les objectifs, les buts, peuvent évoluer, changer... non?... l'important est de ne pas se perdre, soi, ni dans les tâches quotidiennes, ni dans l'obtention de ces buts.